• 27 / Mar / 2025
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LES TIBEB GIRLS : SUPER HEROINES ET FEMINISTES

Il s’agit d’un dessin animé créé par une Ethiopienne, au parfum d’humour qui peint la détresse des jeunes filles en mettant en scène trois héroines aux super pouvoirs et qui se veut révolutionnaire en bousculant les mentalités, éduquant et en libérant les tabous.

Elles s’appellent Fekir, Tigist et Feteh. Lorsqu’elles volent au secours de filles en détresse, elles deviennent Power Girl, Empathy Girl et Whiz Kid Girl. Elles, ce sont les Tibeb Girls, les « filles de la sagesse » en amharique (ancienne langue officielle de l’Ethiopie), les premières superhéroïnes éthiopiennes.

Leur créatrice, Bruktawit Tigabu, une entrepreneuse éthiopienne, est leur créatrice et est également à l’origine du premier dessin animé pédagogique du pays : « Tsehai aime apprendre » (Tsehai loves learning), dans lequel une girafe donne aux enfants des conseils sur les bons comportements sanitaires à avoir dans la vie de tous les jours. Ce programme a séduit des milliers de tout-petits depuis son lancement il y a plus de dix ans. Cette fois, Bruktawit Tigabu, lauréate du prestigieux Rolex Award for Enterprise en 2010, se révèle féministe en dénonçant la condition des femmes dans les zones rurales en Ethiopie et ce à travers la série télévisée d’animation Tibeb Girls. « Les filles font face à tellement de défis au quotidien… Elles n’ont pas le même accès aux soins et à l’éducation que les garçons » déplore-t-elle, dans les locaux de son entreprise sociale, Whiz Kids Workshop, qu’elle a créée avec son mari d’origine américaine Shane Etzenhouser il y a douze ans dans la capitale Addis-Abeba. Selon la campagne Girl Up de la Fondation des Nations unies, une Ethiopienne sur cinq est mariée avant 15 ans, et seulement un peu plus du tiers des adolescentes et des jeunes femmes de 15 à 24 ans sont alphabétisées.
Pour cette femme engagée, c’est malheureusement une question d’attitude qui est devenue la norme à l’école, au sein du gouvernement, et dans la société car, selon elle, même les jeunes filles ont ce comportement : elles ont une faible estime de soi, ne croient pas vraiment en elles et s’empêchent d’avoir des rêves à elles car on leur a appris dès le berceau qu’elles ne valaient pas grand-chose et que les garçons étaient plus capables qu’elles. Bruktawit Tigabu se sent pleinement concernée et se sent responsable d’un devoir de revalorisation auprès de ces jeunes filles : «Il est de mon devoir de montrer aux Ethiopiennes qu’elles ont du potentiel. » 

A travers les Tibeb Girls, elle veut toucher l’âme des gens. Les superhéros, ce n’est pas un concept tout neuf, reconnait-elle. Mais dénoncer les tabous à travers un dessin animé divertissant peut aider à toucher le grand public et permettre d’ouvrir le dialogue sur des sujets de la vie de tous les jours.

Dans l’épisode pilote, traduit en amharique, en anglais et en français, les superhéroïnes viennent en aide à la petite Hanna, vendue à un époux plus âgé qu’elle. Les trois jeunes femmes parviennent à la libérer de l’emprise de sa communauté, et d’un mariage non désiré. La série aborde des sujets variés comme les violences conjugales, le mariage précoce ou les menstruations, souvent vues comme quelque chose de honteux dans le pays. Elle aborde également le thème des changements du corps et les bouleversements psychologiques liés à la puberté. Une période de leur vie pendant  laquelle les adolescents ont réellement besoin de soutien», remarque Bruktawit Tigabu, qui regrette que les troubles psychologiques des enfants ne soient pas vraiment pris en charge en Afrique en général et en Ethiopie plus particulièrement.

Ses superhéroïnes, vêtues de manière traditionnelle d’une robe et d’une cagoule, ont chacune un passé difficile. Leurs pouvoirs (voler, voir dans l’avenir et ressentir les émotions des autres) n’agissent que lorsqu’elles sont réunies. Sinon, ce sont des filles ordinaires. Un clin d’œil à une certitude de la productrice en ce qui concerne la solidarité : « Les Ethiopiennes doivent se soutenir, s’entraider, reconnaitre leurs problèmes et ne pas se laisser définir par eux. Je veux faire ressortir ce qu’elles ont de meilleur en elles que n’importe quelle fille se dise qu’elle peut être une héroïne » plaide-t-elle.

L’entrepreneuse et son équipe sont désormais à la recherche de distributeurs et de financements, afin de produire plusieurs saisons des Tibeb Girls, et de diffuser le programme en Ethiopie, mais également dans d’autres pays africains. Le premier épisode, financé en partie grâce aux subventions de l’ONG américaine Rise Up et par les ventes des livres pédagogiques que Bruktawit Tigabu édite, a coûté plus de 30 000 euros.
L’Ethiopienne a déjà d’autres idées pour la suite de la série. Sa source d’inspiration ? Les filles qu’elle rencontre et qui lui donnent à chaque fois une leçon de courage. Comme lors de cet atelier dans le Wolaita, au sud du pays, où une jeune femme l’a légèrement provoquée, lui expliquant que l’une d’entre elles avait été vendue à un homme contre un téléphone portable et lui demandant ce qu’elle comptait faire face à une telle situation, cherchant une solution. Ce que souhaite Bruktawit Tigabu ? Que les filles se lèvent, se battent et prennent leur destin en main et ce dans toute l’Afrique.


Monica Kalla-Lobé.